Émile Nelligan
(note publiée le 11 février 2020)
Connaissez-vous Émile Nelligan ? Probablement oui si vous êtes de la Belle Province ; dans le cas contraire, je parie que non et c'est bien dommage. Rassurez-vous : j'étais dans le même cas naguère.Il est des hasards heureux. Avant chacune des Rencontres poétiques, le premier mardi du mois place des Terreaux à Lyon, je prends un moment pour aller fouiner à la Bourse, rue Lanterne, près des Terreaux justement. Il s'agit d'une librairie qui propose nombre de livres d'occasion à prix réduits. Ce mardi de février, en farfouillant au rayon poésie, je suis tombé sur un petit bouquin issu de la « Bibliothèque franco-canadienne », imprimé à Montréal pour les éditions Fides le 27 août 1974. Son titre : « Émile Nelligan, Poèmes choisis ». Face au livre d'un poète ou d'une poétesse de moi inconnu(e), je m'empresse toujours d'en feuilleter les pages, histoire d'avoir une idée de la versification de l'intéressé(e). Ravissement : Émile Nelligan écrit – écrivait serait plus exact – en suivant les canons de la poésie classique francophone. Ce n'est donc pas un de ces fumeux poétereaux des temps modernes, définitivement incapables d'aligner quatre vers réguliers, encore moins de faire de la musique avec les mots mais un poète en qui je me retrouve, moi qui essaie à ma façon de faire de la poésie qui chante, justement.
Émile Nelligan (né le 24 décembre 1879 à Montréal, mort le 18 novembre 1941) a peu écrit. Le parallèle avec Rimbaud, plusieurs fois noté, est frappant ; comme le p'tit gars de Charleville, il a composé l'essentiel de son œuvre poétique en quelques courtes années et au moment de l'adolescence, au début du XXe siècle. Ayant étudié, il a appris les règles de la prosodie classique et a pu, su et voulu les bien utiliser. Dans ses poèmes, Émile Nelligan parle de la mort, de l'amour – quel poète n'en parle pas ? – mais aussi et souvent de son mal-être, lui qui fréquenta l'hôpital psychiatrique à partir de 1925. Je ne dirai rien de sa manière d'écrire ; j'ai à plusieurs reprises exprimé tout le bien (!) que je pense des critiques et je ne vais pas à mon tour tomber dans leurs lamentables travers. De toute façon, le lecteur aura compris que sa poésie me plaît ; libre à lui (le lecteur de cette note) de partir à la découverte d'Émile Nelligan. La Toile est pleine de pages à lui consacrées et l'amateur, au prix d'un peu de persévérance, devrait pouvoir se procurer ses ouvrages.
Émile Nelligan, en tout cas dans le recueil de ses poèmes choisis trouvé à Lyon, avait de toute évidence un goût marqué pour le sonnet et son sonnet le plus célèbre est « Le Vaisseau d'or ». Le voici. Ce fut un grand Vaisseau taillé dans l'or massif :
Ses mâts touchaient l'azur, sur des mers inconnues ;
La Cyprine d'amour, cheveux épars, chairs nues,
S'étalait à sa proue, au soleil excessif.
Mais il vint une nuit frapper le grand écueil
Dans l'Océan trompeur où chantait la Sirène,
Et le naufrage horrible inclina sa carène
Aux profondeurs du Gouffre, immuable cercueil.
Ce fut un Vaisseau d'Or, dont les flancs diaphanes
Révélaient des trésors que les marins profanes,
Dégoût, Haine et Névrose, entre eux ont disputé.
Que reste-t-il de lui dans la tempête brève ?
Qu'est devenu mon cœur, navire déserté ?
Hélas ! Il a sombré dans l'abîme du Rêve ! Certes, c'est un sonnet irrégulier (les rimes ne sont pas identiques d'un quatrain à l'autre) mais qu'importe ? Ce poème vous parle-t-il ? Mieux, vous séduit-il ? Si oui, il ne vous reste plus qu'à partir à la recherche des livres de ce poète québécois trop ignoré en France : Émile Nelligan.