L'illusion du virtuel
(note publiée le 9 mai 2016)
Quand j'étais photographe, je tâchais de prendre grand soin de mes images. C'est que chaque photographe tient à conserver au mieux ses précieux clichés !Jusqu'à l'irruption du numérique, la photo (l'image) et son support (le film) étaient confondus. Le stockage, dans les meilleures conditions, du négatif ou de l'inversible, assurait de fait la pérennité de l'image qui était dessus. Avec le numérique, tout a changé... L'image numérique n'existe pas dans le monde réel. Ce n'est qu'une entité mathématique, une suite de valeurs qui a besoin d'un outil pour être accessible au regardeur. Certes, un négatif devait être tiré sur papier et une diapo projetée pour être facilement lisibles, mais l'image pouvait quand même être vue directement. Le numérique a changé la donne sur deux points : d'une part, l'objet (la photo) et le support sont différenciés, « prendre soin de ses photos » signifie désormais prendre soin du support où elles sont stockées et ce support est tout sauf pérenne - quid des DVD dans 100 ans ? D'autre part, aucune image numérique n'est visible avant d'avoir passé par un intermédiaire (écran, impression).
De même, la Toile est un monde virtuel, inaccessible à qui n'a pas les outils idoines. Outils immatériels (il faut un abonnement auprès d'un FAI) et matériels (ordinateur, tablette, etc.).
Venons-en à l'écriture.
Je m'étais promis de ne plus retourner sur les forums de poésie en 2016. Promesse tenue. J'avais déjà quitté sans regret les forums de photo avant d'arrêter l'activité elle-même à l'été 2014. Dans les deux cas, c'est la même raison qui m'a poussé à agir ainsi. Un forum est un lieu (virtuel, bien sûr) où rencontrer (virtuellement, évidemment) des gens qui partagent la même passion que vous. Si l'avantage des forums est de mettre en contact (virtuel, etc.) des gens parfois éloignés, et parfois beaucoup de gens, cet avantage ne compense guère l'absence de contact, ce contact qu'on a dans la vraie vie, face à de vrais individus.
Les spécialistes du comportement affirment que, lors d'un échange, le contenu du message lui-même ne compte que pour très peu dans la discussion (moins de 10%). La gestuelle y a au contraire une part considérable : attitudes, position du corps, ton de la voix, etc. Il va de soi que toute cette partie est inexistante sur un forum. Fort bien, mais on peut penser qu'alors le message, dopé à presque 100% (du débat, le reste tenant à la partie graphique : niveau du discours, fautes de grammaire ou d'orthographe, style), n'en devient que plus efficace. Admettons... Sauf que le discours peut être aisément travesti, au moins par les plus malins, et que finalement vous ne savez jamais à qui vous avez affaire. De plus, la souplesse de l'oralité, dans un face à face ou dans une discussion à plusieurs, permet de s'adapter à son ou ses interlocuteur(s). Rien de tel sur un forum. La (relative) lourdeur imposée par l'écrit ne permet pas de réelles conversations.
Je n'ai qu'une très petite expérience des salons du livre (trois à ce jour) mais le peu que j'ai fréquenté m'a ravi. J'ai pu y croiser toutes sortes de gens. J'y ai vu, face à l'écriture poétique - enfin, face à la mienne en tout cas - des indifférents, des intéressés, des passionnés. J'ai pu échanger pour de vrai ; j'ai argumenté, débattu quelquefois alors même que je pensais que face à la création, « on aime ou on n'aime pas, point ». Mais c'est ça, la vie : on ne sait jamais ce qu'une rencontre réserve. Même si je tiens à rester maître des mots que j'emploie, autrement dit même si les échanges n'ont guère d'impact sur mon écriture, il n'empêche... Il en reste toujours quelque chose. On me dit, par exemple, préférer le vol. 1 des Poésies au vol. 2 parce que les poèmes sont apparus plus spontanés au lecteur... Voilà qui est intéressant. Et qui m'amène à réfléchir sur la spontanéité et sur la frontière (fluctuante) entre fond et forme. En pratique, je me retrouve à récrire comme dans le vol. 1 quelques poésies (qui figureront dans le vol. 3) moins régulières dans leur forme : appariement de rimes masculines et féminines, non-respect de l'alternance du genre des rimes, etc. Nul doute que la réflexion ci-avant évoquée y est un peu pour quelque chose...
Je ne saurais conclure cette brève note sans évoquer l'absolue nécessité de l'anti-virtuel par excellence : le livre papier. Naturellement, je garde ma place sur la Toile et le site des Poésies reste actif (avec mon blog et mon compte sur Face-de-Bouc, mais ces deux-là sont à l'entier service du site). Mais un site n'est pas un forum. Un site est une vitrine où le lecteur occasionnel peut lire quelques poésies, où l'habitué(e) - si, il y en a ! - vient de temps en temps lire les derniers poèmes et où celle ou celui que le hasard d'une recherche a conduit là passera peut-être (je l'espère !) un agréable moment. Mais la finalité de l'écriture reste le livre. Ce n'est pas ici le lieu pour faire l'apologie du livre papier ou pour évoquer les innombrables difficultés à trouver un éditeur, d'ailleurs non résolues par l'auteur de ces lignes - qui n'a pas fait beaucoup d'efforts en ce sens au demeurant ; mais il me fallait bien, avant de clore cet article, rappeler que le vrai livre, avec une couverture et du papier, est, autant pour l'auteur que pour ses lecteurs, le meilleur ancrage dans la réalité.
Alors... au plaisir de vous croiser dans un salon !