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POÉSIES DE MON CŒUR (i)

Du genre des rimes (2)

(note publiée le 27 juin 2016)
« La désaffection des poètes modernes envers la rime s'expliquerait, selon Aragon, en grande partie par le nombre limité de combinaisons que permettrait leur répartition traditionnelle entre rimes féminines et rimes masculines.

Aussi Aragon propose-t-il encore à la suite d'Apollinaire un autre système d'ailleurs plus adapté à la prononciation actuelle : « Pour Apollinaire étaient rimes féminines tous les mots qui se terminent à l'oreille sur une consonne prononcée (...), tandis que pour lui étaient rimes masculines toutes celles qui s'achèvent par une voyelle ou une nasale. D'où la liberté que riment entre eux des mots comme exil et malhabile... »


Bernard Lecherbonnier, Le cycle d'Elsa d'Aragon, Hatier.

Vous venez de lire ce que j'appellerai la définition AA de la rime féminine (AA pour Apollinaire-Aragon). Cette définition est axée sur la déclamation car la poésie est faite pour être dite à voix haute. Du coup, faire rimer soleil et abeille devient possible. Même si on peut estimer qu'une légère différence subsiste entre un EIL court et un EILLE long, cet écart est quasi inaudible. Léon Warnant, un des plus fameux lexicologues de langue française ne s'y est pas trompé, qui a regroupé dans l'excellent Larousse des rimes les sons comme EIL et EILLE, justement, ou encore AIL et AILLE, EUR et EUR(R)E, etc.

Rappelons qu'en français, la rime ne peut porter a minima que sur une voyelle tonique et dressons dès lors un petit tableau du genre des rimes, exemples à l'appui, dans la poésie traditionnelle et selon AA.

Poésie traditionnelle

- E en finale (ou ES, ENT) : rime féminine. Exemple : portE, viE, livrE, tu cherchES, ils tombENT, etc.
- tout autre lettre en finale : rime masculine. Exemple : chat, ballon, bonheur, panier, etc.

Définition AA

- voyelle tonique + consonne(s) tonique(s) (+ E, mais facultatif) en finale : rime féminine. Exemple : pORTE, lIVRE, solEIL, abEILLE, etc.
- voyelle tonique en finale : rime masculine. Exemple : chAt, ballON, panIER, vIe, etc.

On constate donc que de nombreux vers changent de genre ! Mieux : on peut se retrouver avec une inversion des genres pour un ensemble de vers donné. Quand V. Hugo écrit (Les chants du crépuscule, pièce XXXVIII) : Vous qui n'avez jamais de sourire moqueur
Pour les accablements dont une âme est troublée,
Vous qui vivez sereine, attentive et voilée,
Homme par la pensée et femme par le cœur,
il compte évidemment : M (moqueur), F (troubléE), F (voiléE) et M (cœur). Or, selon AA, les genres sont tout simplement... inversés : F (moquEUR, voyelles toniques EU + consonne tonique R), M (troublÉe, voyelle tonique en finale, le E étant muet), M (voilÉe, comme troublÉe) et F (cŒUR, comme moquEUR).

Surprenant, non ?

Personnellement, je préfère la définition AA du genre des rimes à la définition traditionnelle. J'avais d'ailleurs déjà restreint la rime féminine à celles finissant avec un E précédé d'une consonne : amie, venue, tombée, etc. sont pour moi des terminaisons de rimes masculines puisque le E final est complètement inaudible. Sûr que si j'avais rencontré la définition AA plus tôt, je l'eusse peut-être suivie.

Je dois faire ce constat : j'ai écrit que l'alternance, ou au moins un rythme dans la succession, des rimes féminines et masculines, si je ne m'en faisais pas une obligation, contribuait à l'harmonie générale du poème. Fort bien sauf que... plusieurs de mes poèmes, si je reprends la définition AA, ne respectent plus aucun rythme. Par exemple, ce quatrain, comme l'ensemble du poème Malédiction, est censé être en rimes F - M - F - M : Le poète maudit, l'oiseau noir de passage,
Qui réjouit tes sens, l'envié créateur
Existe donc ? Pardi, ce n'est pas qu'un mirage !
Mais sais-tu sa navrance ? Aussi, ami lecteur,
Or, selon AA, il est tout simplement en rimes... F - F - F - F !

Dois-je en déduire que le poème en question n'est plus harmonieux ? Si je pensais ainsi, soyez assuré que je le dirais, mais la réponse est non. S'il me fallait reprendre bon nombre de poèmes au prétexte qu'ils n'obéissent pas à une règle, je le ferais, mais ce n'est pas le cas. D'ailleurs, plusieurs des poèmes du vol. 1 des Poésies ont été écrits sans souci du genre des rimes. Je ne les renie pas pour autant. Pour info, on lit, extrait du Petit traité de versification française, dans le (mauvais) Dictionnaire Bordas des rimes et sonorités, que « Paul Claudel hait l'alternance fastidieuse des rimes masculines et féminines qu'il compare à la cime dentelée d'une palissade de pieux pointus. »

Dans mon petit Manifeste, j'ai écrit : « Règle 4 - Privilégier l’appariement des vers par genre (M / M et F / F) et privilégier un schéma par genre pour structurer les strophes. Ces deux règles ne sont pas d’un emploi absolu. On pourra apparier M / F ou suivre un schéma irrégulier dans les strophes. » et « Règle 5 - Privilégier l’harmonie du poème considéré dans son ensemble. C’est la totalité du poème qu’il faut toujours considérer. La règle n° 4 n’est donc pas à respecter à tout prix, même si l’emploi de cette règle a tendance dans de nombreux cas à favoriser l’harmonie du poème. » Je le pense toujours et c'est bien pour avoir privilégié - du moins ai-je la faiblesse de le croire et d'espérer que mes lecteurs partagent cette opinion - l'harmonie de chaque poème que leur relecture, même à l'aune de la définition AA, ne me trouble pas.

Bon, et maintenant ? Après les poèmes aux rimes M et F mêlées, après ceux écrits régulièrement selon la définition traditionnelle des genres, vais-je écrire les prochains selon la définition AA ? Je l'ignore encore, mais quel plaisir d'apprendre de ceux qui nous ont précédés... La vie n'est-elle pas changement permanent ?