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POÉSIES DE MON CŒUR (a) POÉSIES DE MON CŒUR (i)
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Malgré eux...

(note publiée le 12 septembre 2016)
Une lecture attentive et répétée des poètes du passé dans les éditions contemporaines révèle à qui y est sensible un bien étrange comportement de la part de l'exégète de service - essentiellement l'inévitable « présentateur » (ou « compilateur ») des œuvres en question.

Si, vous savez, celui dont le nom figure après le : « Présentation et choix de... » ou le : « Édition annotée et présentée par... ». Déjà, qu'on se permette de choisir parmi les pièces d'un auteur pour en faire comme une façon de nouveau recueil est fort discutable. Pourtant, c'est, direz-vous, le principe de l'anthologie ; mais qui a dit qu'une anthologie est une bonne chose ? Bon, elle a au moins le mérite de faire découvrir des auteurs (et son pendant : d'en laisser des quantités dans l'ombre) et elle annonce la couleur : une anthologie est signée, elle résulte d'un choix arbitraire. Mais chacun n'y a qu'une (toute) petite part ; quand on applique ce principe à un seul auteur, ne crée‑t‑on point, sans l'avis de l'intéressé, une forme de nouveau « recueil de... » ?

Voici, en quelques exemples, ce qu'on peut faire sans tenir compte de l'avis des auteurs - et pour cause, ils ne sont plus là pour le donner. Malgré eux...

« Les Quatre Saisons de Ronsard » (Poésie / Gallimard) est une compilation de poèmes du maître. Ronsard a connu, de son vivant, plusieurs éditions de ses œuvres. Il a donc pu, selon son désir, reprendre des pièces au fil de ces éditions. Et il l'a fait. Parfois, c'est un dédicataire qui change ; parfois, c'est un ou quelques vers qui est/sont repris. Or, dans la présentation du recueil, le compilateur écrit (p. 24) :

Nous avons adopté pour la plupart des textes le dernier état contrôlé par Ronsard, c'est-à-dire l'édition de 1584 [...]. Nous nous sommes écartés du dernier état du texte lorsque la première version ou celle de 1578 nous ont semblé supérieures.

Là, j'ai envie d'écrire : de quoi je me mêle ? Voilà un érudit qui se permet de juger, à la place de l'auteur disparu, que la dernière édition n'est pas la meilleure ! Bon sang, n'est-ce pas à Ronsard, même défunt, de « décider » ? C'est, finalement, le goût (discutable) de l'un contre celui de l'autre. Or, cet autre est l'auteur : priorité absolue !

« La doctrine de l'amour » et « Valentines » (un volume chez Poésie / Gallimard) sont deux recueils de Germain Nouveau. Du courage, lisons l'habituel bla-bla-bla de compilateur. Voilà de l'intéressant (p. 16) :

Nouveau, qui ne voulait pas qu'on publiât ses vers, se cachait sous des pseudonymes [...].

Et dans la biographie (p. 275) : 1910 - Publication, à son insu, des Poèmes d'Humilis. Il porte plainte contre l'éditeur. 1913 - Second procès contre l'éditeur. Enfin, dans la notice (les critiques adorent rédiger des notices, des renvois, des notes et tout genre, lesquelles peuvent rendre service quand elles éclairent tel poème qui fait référence à un personnage ou à un événement peu ou plus connu, mais qui ne sont le plus souvent que pur délire, fort bien rédigé par ailleurs ; la forme sans le fond, quoi...), au sujet de « La doctrine de l'amour » :

Nous ne possédons pas, en dépit des efforts érudits des exégètes, et nous ne posséderons vraisemblablement jamais d'édition satisfaisante de ce recueil. Le ou les manuscrits originaux ont disparu ; les diverses publications ont été faites d'après des copies établies de mémoire par des admirateurs de Germain Nouveau après que celui-ci eut décidé de s'opposer à la publication d'un poème qui ne lui paraissait plus correspondre à la rigueur de ses convictions religieuses. Avec une obstination farouche, Nouveau s'arrangea pour faire disparaître ses vers. Le même scénario se renouvela, quelques années plus tard, avec les Valentines. Bref, l'auteur refuse absolument toute publication. Attitude qui n'a pas fini de nous surprendre.

Tout est dit : pauvre Nouveau !

Le cas n'est pas unique. Dans l'« Anthologie de la poésie française » en deux volumes parue dans la bibliothèque de la Pléiade, on peut lire ceci à propos du poète (peu connu) Desmahis (1722-1761) (p. 1037) :

Ses œuvres ont été recueillies après sa mort, bien qu'il eût demandé qu'elles fussent détruites.

Enfin, j'ai gardé l'excellent Rimbaud pour la fin. Rimbaud n'a été poète que peu de temps dans sa vie. Dans l'introduction des « Poésies complètes » au Livre de Poche, on peut lire (p. 7) :

Imaginez un instant qu'un éditeur réunisse pour vous les oeuvres que Rimbaud lui-même a publiées. Cela tiendrait dans un mouchoir de poche. Il est en effet l'auteur d'un seul livre, une mince plaquette plutôt, de cinquante-trois pages, avec des blancs, Une saison en enfer, « parue à Bruxelles », comme le rappelait Verlaine, « chez Poot et Cie, 37, rue aux Choux ».

Et (p. 9), après avoir évoqué les efforts de Verlaine et de plusieurs autres :

Anthumes ou posthumes, ces publications échappent à Rimbaud. Elles se sont faites sans qu'il le sût.

Soyons honnêtes : on a le droit de penser que toutes ces histoires, la plupart pas très claires, sont de peu d'intérêt pour lire Rimbaud. C'est le cas d'ailleurs... Quid, par exemple, du fameux « recueil Demeny » ? Ce Demeny à qui Rimbaud écrivait en 1871 :

« brûlez, je le veux, et je crois que vous respecterez ma volonté comme celle d'un mort, brûlez tous les vers que je fus assez sot pour vous donner lors de mon séjour à Douai ».

C'est égal... J'aime beaucoup la poésie de Rimbaud (pas tout d'ailleurs, mais peu importe). Toutefois, là n'est pas la question.

La question, c'est celle qui se pose pour les poètes cités ici (et pour d'autres). Quelle que soit la volonté d'un auteur, n'est-il pas honnête et décent de la respecter ? Ces quelques exemples nous montrent clairement que ce n'est pas toujours le cas...