Du besoin d'être obscur
(note publiée le 16 mars 2017)
J'ai déjà tenté (voir les notes « Notes sur l'écriture : spontanéité, sincérité... et après ? » des 27 septembre et 21 novembre 2014 et « Définir la poésie » du 25 juillet 2015) de trouver, certes pas la définition de la poésie, mais ma définition - ce qui n'est déjà pas mal et quand il m'avait fallu choisir des qualificatifs, les mots sincérité et légèreté s'étaient présentés.Il en est un autre qui m'est tellement évident que je n'ai pas cru bon d'en faire mention : la clarté.
Je ne suis pas historien de la littérature mais j'ai lu suffisamment de poètes pour en avoir croisé, au fil des pages, un certain nombre qui, manifestement, ont fait du vers sibyllin une spécialité. Bien sûr, Mallarmé vient de suite à l'esprit (« Mallarmé, intraduisible, même en français » selon Jules Renard), bien sûr aussi, on pensera à toute la clique des pseudo-poètes des années 70-80-90 (voir la note « La machine à poésie » du 16 novembre 2015), apôtres du vers libre, des métaphores tordues et des blancs pleins la page (ça va plus vite pour faire un bouquin).
Fort heureusement, la plupart des poètes du passé ont écrit clairement. (Re)lisez François Villon, Pierre de Ronsard, Joachim Du Bellay, Victor Hugo, Charles Cros, Marie Noël, Anna de Noailles et tant d'autres : rien dans leurs vers n'est un obstacle à la compréhension (exception faite parfois de tournures oubliées de la langue ou de faits et/ou de personnes oubliés eux aussi). C'est du simple bon sens : quel que soit le message qu'on veut faire passer, il en va de sa survie et de sa crédibilité de le formuler clairement.
On pourra objecter qu'il n'y a pas forcément de message, ou qu'il n'est pas forcément nécessaire de comprendre pour apprécier. Bon, c'est peut-être possible... J'avoue qu'il m'arrive d'« entrer » dans un tableau abstrait, même si je préfère la peinture figurative, et de prendre plaisir à le contempler. Mais, que voulez-vous, je ne suis jamais arrivé à pareil résultat avec les mots. Pas de sens, ou un sens tellement caché qu'il en devient introuvable et je tourne la page. Suis-je le seul ?
Pourquoi écrire ainsi ? Mystère de la création... D'ailleurs, je n'ai pas de réponse, moi qui essaie d'être limpide, mais j'ai quand même une petite idée sur le sujet : et si c'était pour « faire poétique » ? La poésie n'est-elle pas faite pour celles et ceux qui sauront la révéler (c'est beau, hein ?) et, partant, n'est-il pas bienvenu, ce vers passablement obscur ? Puis il n'est pas incompréhensible, il a juste un sens caché... À moins que l'absence de sens immédiat ne soit la condition pour laisser le lecteur libre d'errer à sa guise entre les mots ? Eh bien non, perdu ! Un poème au sens clair n'empêche nullement le lecteur d'en faire sa propre lecture, j'ai en eu maints témoignages avec mes propres poèmes mais aussi, bien sûr, avec ceux d'auteurs du passé. La limpidité des eaux du lac ne permet-elle pas d'en voir le fond ? (Hourra, j'ai placé ma métaphore !)
J'avais envisagé de conclure cette brève note en citant quelques vers glanés de-ci, de-là. Ces vers me turlupinent, j'ai beau les avoir lus, les lire et les relire encore, je ne parviens jamais à en tirer le moindre sens. Mais je préfère renoncer à ces citations - et aux vers en question. J'avoue que ça m'amuse encore quand je tombe au fil de mes pérégrinations poétiques sur un poète dont la devise doit (ou devait) être : « Comprenne qui pourra ! », en repensant à « La machine à poésie » (article cité plus haut et publié dans ces notes, dû à Pierre Jourde et extrait de « La littérature sans estomac ») ; vous pouvez toujours (re)lire cette note, pour autant permettez-moi d'en citer quelques brefs extraits pour finir : « Le poète académique a compris qu'on n'est pas poète sans absence ni obscurité. (...) On doit ne pas savoir de quoi on parle, mais éperdument. (...) Certains poètes semblent considérer que la poésie est forcément quelque chose de compassé, vague et un peu triste. On doit s'y ennuyer de manière distinguée, en écoutant de jolis mots et quelques métaphores de bon goût. (...) Ce n'est quand même pas la peine de faire de la poésie pour parler comme tout le monde. »
Je vous souhaite de beaux moments de poésie.
Note du 10 avril 2017 : Diderot écrit ceci en 1767 : « La clarté est bonne pour convaincre ; elle ne vaut rien pour émouvoir. La clarté, de quelque manière qu'on l'entende, nuit à l'enthousiasme. Poètes, (...) soyez ténébreux. » et Sainte-Beuve : « Le plus grand poète n'est pas celui qui a le mieux fait : c'est celui qui suggère le plus, celui dont on ne sait pas bien d'abord tout ce qu'il a voulu dire et exprimer... » (Dans les deux exemples, c'est moi qui souligne). Il y a des idées qui ont la vie dure...