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Pèire Godolin

(note publiée le 30 août 2017)
Pèire Godolin (lire : Peïre Goudouli) est un poète occitan né et mort à Toulouse (1580-1649).

Farfouillant comme à mon habitude dans les bacs improbables de certain magasin bric-à-brac, je suis tombé, que le Destin en soit remercié, sur un bouquin épatant de Pierre Escudé : les œuvres complètes, commentées et traduites en français, de Pèire Godolin. Ma foi, j'ignorais tout de cet homme mais je suis né Ardéchois, donc d'ancêtres occitans, j'ai entendu maintes fois ma grand-mère et mon père parler « patois », comme ils disaient et je suis resté très attaché à la langue occitane que je comprends un peu - sans la parler toutefois.

Pèire Godolin (Pierre Escudé) Voici, figurant au dos du volume, un résumé de l'ouvrage (hélas indisponible sauf à mettre la main dessus sans le chercher) : Godolin est le plus important des poètes toulousains et des poètes du Sud a une époque où Toulouse, capitale des états de Languedoc, est la « seconde ville du premier royaume d'Europe ». Des années 1600 jusqu'à sa mort en 1649, de la fin de l'humanisme au début de la provincialisation, Godolin ne cesse de chanter et de représenter l'image complexe et multiple d'une société toulousaine, occitane, française, en totale mutation. Sa passion du double mot, son jeu du portrait saisi sur le vif, ses peintures de scènes amoureuses, grotesques ou teintées d'érotisme, peignent l'homme sans fard. À la fois empli d'illusions et déniaisé, désespéré et joyeux, il entremêle fantaisie et rêverie dans un verbe unique, capable d'évoquer avec intensité des scènes bachiques ou des noëls pastoraux. Cette édition souhaite donner à un large public l'œuvre totale de Pèire Godolin dans une graphie stabilisée, accompagnée pour la première fois d'une traduction poétique. Elle permet de découvrir un auteur immense, passeur de l'âme occitane, mais tout autant maillon entre Montaigne et Molière dans une Europe baroque que l'historiographie française a voulu trop longtemps masquer. La poésie légère et profonde de Godolin est d'une inventivité fulgurante. Elle s'adresse à Tots, véritable miroir d'une société qui, entre amour et passions, détresses sociales et amitié, cherche sa propre vérité. Plus que jamais, il était temps que Godolin redevienne actuel.

Or donc, j'embarque le livre pour quelques euros et après l'avoir feuilleté, j'en entreprends la lecture systématique. J'ai déjà eu affaire à des ouvrages écrits en français d'autrefois (les œuvres de Rabelais et en poésie, les lais de Marie de France, les poèmes de Rutebeuf ou ceux de Charles d'Orléans) et, à chaque fois, j'ai pris la peine de lire le texte original - avec bien sûr de fréquents reports à la traduction. Je sais donc les bénéfices que l'on tire de l'exercice et je sais aussi ce que l'on perd à ne pas s'y astreindre : tout, on perd tout.

Bien m'en a pris : j'ai découvert un poète extraordinaire, écrivant dans une langue étonnante et bien faite pour la poésie (entre autres usages). Godolin connaissait les Occitans (qui ne parlaient qu'occitan), les Français, bilingues (langues française et occitane) et les Francimans, ignorant tout de la langue du sud de la Loire. Lui-même se disait Français, qui parlait parfaitement français et occitan. S'il a écrit majoritairement dans la langue de son pays, il a aussi produit quelques textes, poésie comprise, en français.

Godolin a écrit des poésies sacrées (beaucoup de Noëls) et de nombreuses poésies profanes où il vante les plaisirs de la vie : aimer, manger et boire. Il a mis en scène nombre de personnages fictifs, archétypes du soldat de fortune (n'oublions pas qu'il a vécu en période extrêmement troublée, avec les guerres de religion), de l'ivrogne, de l'amant déçu, etc. Que puis-je en dire, moi qui essaie à ma façon de faire rimer les mots du français ? Eh bien que j'ai croisé un poète exceptionnel et attachant, aussi un technicien hors pair maîtrisant tous les canons de la poésie franco-occitane. Les chanceux qui connaissent Godolin apprécient les trois « floretas » de son « Ramelet Mondin », entendez : trois recueils poétiques nommés Petits rameaux (Ramelet) écrits dans la langue de Toulouse (Mondin). Pierre Escudé explique à ce propos : Mondin signifie ramondin : langue des comtes Raimond [...]. Langue qui va de Gascogne à Provence, et frôle l'Aragon. Langue de l'empire médiéval des troubadours, le mondin est tout autant mondain : langue du monde, langue de la société.

Le mondin, l'occitan, justement... Mon dieu, que cette langue est chantante ! Elle nécessite certes qu'on apprenne a minima quelques règles de base pour la bien prononcer, mais l'effort consenti est largement compensé par la musique des mots, surtout mis en forme par un maître comme Godolin ! Pierre Escudé a réussi à donner des versions en français qui n'ont évidemment pas la saveur des originaux mais qui se lisent avec plaisir. En voici trois courts exemples. D'une petite demoiselle malade

Amour, en larmoyant sur ses deux joues poupines,
Vint dire à la Beauté : « Il faut se retirer,
Car pour toi jamais plus on ne va soupirer
Et je ne lancerai que de tristes épines
Si la mort vient cueillir la fleur des Ramondines. »

(Les Ramondines sont les Toulousaines.)

Une demoiselle passe, et deux camarades se disent :

I. Allons guigner les yeux de cette Demoiselle,
Vue de dos, son maintien me ravit quasiment !
R. Passe donc le premier pour le savoir vraiment,
Donne-lui deux baisers où elle a l'air si belle.

Nous pensons vivre bien contents
En passant en douceur le temps,
Mais sans que nous voyions sa trace,
En passant, c'est Lui qui nous passe.
J'ajouterai que le principe que j'applique sans faillir : lire la poésie à voix haute (exception faite dans le train, mes compagnons de voyage n'étant pas forcément amateurs de beaux vers) est incontournable ici - je parle du texte en occitan, tant, je le répète, cette langue qui est un peu la mienne met en valeur la musique des mots. Et ça tombe bien puisque j'ai toujours associé poésie et musique ; de la musique sans notes, en quelque sorte...

Enfin, nul ne s'étonnera que Pèire Godolin, poète majeur et remarquable à tous points de vue, soit absent du Larousse (mon édition date de 2009. Y est-il maintenant ?), là où sont listés tant d'inconnus célèbres, tant de gens sans importance - sinon, sans intérêt. Pierre Escudé écrit : Triplement marginalisé de par sa langue, la tonalité et le contenu de son expression, son origine géographique et historique, Godolin est en effet triplement exclu de la sphère de réception et de transmission moderne de la culture française contemporaine [... Il] écrit presque exclusivement en langue occitane ; son écriture n'est pas classique ; enfin, il n'est pas de Paris. Godolin : « auteur patoisan, irrégulier, provincial ». Triple tare.

Souvent les élites bien pensantes ne savent pas ce qu'elles perdent.