Des femmes en poésie
Une façon de procéder peut être de feuilleter l'une ou l'autre anthologie – et j'en ai plusieurs en rayons. Hélas, le résultat de mes (brèves) investigations n'est guère à l'avantage des femmes poètes.
J'attribuerai sans conteste la palme à l'anthologie de La Pléiade en deux volumes (« Anthologie de la poésie française »). Les auteurs de ces ouvrages ont réussi un double exploit, chacun aux deux bouts de la chaîne du temps, si je puis dire. Au début, c'est une des plus grandes poétesses du Moyen Âge, Marie de France (connue surtout pour ses lais, notamment le Lai du Chèvrefeuille) qui a carrément été oubliée (dans le vol. 1) ; vers la fin (provisoire) de l'aventure, à cheval sur le XIXe et le XXe siècle, une autre grande dame de la poésie, Anna de Noailles, a droit, royalement, à... un (1 !) poème (dans le vol. 2). Avec ça, une constante dans les anthologies : face à cette pénurie, de pleines pages de poètes (plus ou moins imbuvables – c'est un avis personnel) qui ont, eux, la chance d'être nés hommes.
Bernard Delvaille et ses « Mille et cent ans de poésie française » fait un peu mieux. Marie de France est présente avec l'inévitable Lai du Chèvrefeuille et Anna de Noailles a droit à trois pièces.
Il est inutile de rapporter le contenu de telle ou telle autre anthologie. La chanson est la même. Bien sûr, le lecteur est à peu près sûr de retrouver ces poétesses qu'on pourrait dès lors qualifier d'incontournables : Marie de France (honte à La Pléiade !), Christine de Pizan, Pernette du Guillet, Louise Labé, Marceline Desbordes-Valmore, Anna de Noailles, Marie Noël... La liste varie évidemment d'un ouvrage à l'autre mais elle reste toute petite. De plus, les poétesses ont droit à la portion congrue (il ne faut pas rêver !). Bien, mais cela n'est-il pas conforme à la réalité de la poésie française ? Les femmes ne sont-elles pas minoritaires en quantité ? Probablement. Mais mes nombreuses lectures poétiques, anthologies comprises, me laissent sur cette impression, que quand on est une femme, on est forcément un peu en dessous du lot (désolé si la formule paraît choquante) et du coup, je le redis, nombre de poètes (la plupart, certes, de qualité mais est-ce une raison pour nier celle des femmes ?) ont droit à nettement plus de poèmes en citation que ces dames.
Dans son bouquin, F. Chandernagor m'a fait découvrir plusieurs de ces poétesses en manque de reconnaissance. Je ne citerai ici (le lecteur intéressé se procurera le livre) que l'excellente Anne de la Vigne (1634-1684), poétesse somptueuse, valant bien ses homologues masculins (Voiture, Benserade, Malleville, etc.) et, bien souvent, valant même mieux. Pourtant, comme le fait remarquer l'auteur, ces messieurs ont droit aux manuels scolaires et/ou aux anthologies. Anne de la Vigne, non. Pour quelle raison ?
Pour clore cette note, permettez-moi de vous résumer – les titres sont parlants et ils suffiront – les conseils remplis d'humour (féroce) que donne F. Chandernagor à ses lectrices-poétesses ou désireuses de le devenir, dans son avant-propos : Premièrement, soyez un homme (...) Deuxièmement, habitez Paris (...) Troisièmement, vivez vieille (...) Quatrièmement, prenez-vous au sérieux (...) Cinquièmement, écrivez...
Et en guise de conclusion, le voici, ce cinquième conseil dans son intégralité :
Écrivez quand même, oui, écrivez encore, écrivez sans cesse, malgré l'indifférence du public, le silence de la critique, et l'incompréhension de vos amis. Écrivez, pour les étoiles comme Cécile Sauvage, pour les palmiers comme Anne Perrier, pour le désert comme les poétesses du Liban. Car, lorsqu'ils ont été suffisamment recopiés, imprimés ou mis sur le Net, les poèmes vivent plus longtemps que les poètes. Votre corps, votre nom, auront disparu depuis des siècles quand un jour, par hasard, un curieux dénichera, au fond d'une bibliothèque en ruine, sous une épaisse couche de poussière, un exemplaire papier, ou numérique, d'une de vos œuvres. Et, soudain, on essaiera de savoir qui vous étiez, on vous lira avec intérêt, dans la surprise de l'instant on vous portera même aux nues, vous serez lancée — ou relancée : croyez-vous qu'on lisait encore Christine de Pizan et Ronsard au XVIIe siècle, ou Maurice Scève et Du Bellay au XVIIIe ? Le XXe siècle leur a donné une seconde chance. Comptez sur le XXIIe...
Et surtout, n'oubliez jamais ce qu'a écrit Sappho, cette petite phrase isolée dont le contexte est perdu, une phrase orpheline, à demi dévorée par le temps, mais que tout écrivain, tout artiste, devrait se répéter comme un mantra : Il y aura quelqu'un, un jour, pour se souvenir de nous.