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La machine à haïku

(note publiée le 20 juin 2021)
J'ai déjà évoqué les machines en poésie ; voyez la note « La machine à poésie » du 16 novembre 2015 – mais il s'agissait d'une transcription d'un article de P. Jourde.

Dans les années 70 est paru un épatant petit bouquin de Robert Beauvais : « L'hexagonal tel qu'on le parle ». L'hexagonal tel qu'on le parle J'en revois la couverture (celle représentée ci-contre) mais, hélas, l'ouvrage, prêté, ne me fut jamais rendu. Prêté à qui, voilà la bonne question. Si je m'en souvenais, je l'aurais réclamé. Il y a vraiment des gens sans-gêne (et/ou sans tête)...

Bref, dans ce livre, critique pleine d'ironie du néo-français qui commençait à se manifester dans le pays qui ne s'appelait plus la France mais l'Hexagone (d'où le titre), outre un véritable dictionnaire français-hexagonal, figurait un tableau génial qui, par combinaisons, permettait de pondre instantanément une quelconque phrase en hexagonal, certes dépourvue du moindre sens mais qu'importe, il ne s'agissait que de faire dans l'esbrouffe. C'est en repensant à ce tableau que j'ai eu l'idée de la machine à haïku. Au demeurant, P. Costa, dans son « Petit manuel pour écrire des haïku », donne (un peu) le ton, le délire en moins, quand il dit qu'il est bon de collectionner des « bouts » de haïku, autrement dit des séries de 5 ou 7 syllabes qu'on pourra dès lors réutiliser à bon escient.

La machine à haïku est simple, si simple que chacun peut s'en fabriquer une... La méthode de base prévoit d'aligner n séries de 5 syllabes et n autres de 7 en veillant à la cohérence des deux. Par exemple, si la série de 5 évoque des noms au pluriel, il faudra que la série de 7 ait des verbes au pluriel. La série de 5 pourra, si elle est bien faite, être utilisée en ligne 1 ou en ligne 3 mais rien n'empêche de créer une nouvelle série de 5 pour la troisième ligne. Attention à la cohérence verbes-compléments ! (Je parle de la cohérence grammaticale ; pour le sens, on s'en fiche, que ce soit baroque, c'est là l'intérêt). De nombreuses variantes sont possibles et plus n est grand, plus il y a de possibilités, bien sûr. Ainsi, possédant une copie de votre machine à haïku et à condition de la consulter discrètement, vous pourrez épater votre entourage et sortir un haïku prétendument improvisé. Nul doute que quelque tête pensante s'en emparera et vantera le côté zen (par exemple) de votre mini chef d'œuvre. Zen ou autre niaiserie : (re)lisez Costa ou voyez mon intro au vol. V des Cahiers.

Voici maintenant, à titre de démonstration, un tableau basique réalisé en dix minutes.
Machine à haïku
Les gros coups de vent
Les gens qui ont peur
Trois pommes dorées
Les petits oiseaux
Les champignons crus
Cherchent souvent à manger
Préfèrent sans aucun doute
Jouent tranquillement avec
Écoutent avec respect
Se font embobiner par
Et c'est parti ! On pourra, avec ces éléments simplissimes, déclamer ce genre de choses :
  • Les gros coups de vent / Préfèrent sans aucun doute / Les petits oiseaux.
  • Trois pommes dorées / Jouent tranquillement avec / Les champignons crus.
  • Les champignons crus / Cherchent souvent à manger / Les petits oiseaux.
  • Les gens qui ont peur / Écoutent avec respect / Les gros coups de vent.
  • Les petits oiseaux / Se font embobiner par / Les gros coups de vent.
Évidemment, les résultats sont inégaux, entendez que certains haïku sont plus vraisemblables que d'autres. Mais je me permets de rappeler que ce tableau a été réalisé en moins d'un quart d'heure... Un travail plus poussé (dix ou quinze entrées, une série dédiée à la troisième ligne alors qu'ici, la série de 5 syllabes fait pour les lignes 1 et 3, deux séries de 7 syllabes, une pour les verbes transitifs directs, une pour les indirects, etc., on peut tout imaginer) donnerait des résultats nettement plus spectaculaires.

À vous de jouer !
Que le lecteur, amateur de haïku, ne s'offusque pas... Je suis moi-même un fervent adepte du « poème court japonais » et j'en ai fait un volume des Cahiers des Poésies de mon cœur. Cette note n'est pas faite pour dénigrer le haïku mais pour sourire un peu, accessoirement pour se payer la fiole des branleurs de cervelle qui s'extasient de la moindre bêtise et, pourquoi pas finalement, pour suggérer une méthode qui, appliquée avec discernement, peut fonctionner pour peu que l'auteur y mette de son cœur, de son âme et de sa plume. Car la poésie, fut-ce du haïku, demande certes de la sincérité, de l'émotion, du sentiment et l'envie d'émouvoir, de faire pleurer ou de faire rire, mais aussi beaucoup, beaucoup de travail.