Les liaisons dangereuses
(note publiée le 30 juin 2022)
Dans le « Guide du français correct » de Jacques Capelovici, paru aux éditions de l'Archipel en 1992, l'auteur, de la page 162 à la page 165, fait le point sur les liaisons en français. On sait combien le sujet tient à cœur aux poètes – en tout cas aux poètes sensibles à l'harmonie et à la musique des mots.La règle qui dit qu'on doit faire toutes les liaisons ne saurait certes être remise en cause. Pour autant, l'auteur nous rappelle qu'il est des liaisons... à ne pas faire, justement.
On trouvera ci-après l'article de maître Capelo. Le lecteur notera probablement quelques cas que l'auteur de ces lignes ignorait (ou avait oublié), certains paraissant fort bizarres tant on a perdu l'habitude de dire ainsi. Quant à suivre les consignes du célèbre érudit que fut Jacques Capelovici, chacun fera comme il l'entend – pourvu, pour ce qui me concerne, que la lecture poétique n'en soit pas affectée.
Liaison
Voici quelques principes de base qu'il est recommandé de connaître :I. Consonnes additives de liaison
Si le verbe terminé par une voyelle précède son sujet il ou elle, ainsi que son complément y ou en, on a recours à une consonne de liaison, à savoir « t » ou « s ». D'où : Il neige et Neige-t-il ? Elle a vu et A-t-elle vu ? Va ! Vas-y ! et Va-t-en ! Mange ! et Manges-en !
2. Changement de son des consonnes finales de liaison.
a) Comme en allemand, deux sonores finales deviennent sourdes :
— le « d », qui se prononce « t », comme dans Un grand homme (« grantom »), Il s'en prend à moi (« prentamoi »), Quand il pleut (« kantilpleut ») ;
— le « g », qui se prononce « k » dans Bourg-en-Bresse (« Bourkembresse »), Un long article (« lonkarticle »), Un sang impur (« sankimpur ») dans le refrain de la Marseillaise, ainsi que dans le style oratoire.
b) Inversement, une sourde finale devient sonore, à savoir la consonne « s », qui se prononce « z » : Trois ans (« troizan »). Cette remarque s'applique au « x » : six ans (« sizan »).
3. Consonnes groupées en fin de mot.
a) Au singulier, la liaison se fait sur l'« r », même s'il est suivi d'une ou deux consonnes : Ver(t) ou bleu (« vèroubleu »), Mor(t) ou vif (« morouvif »), For(t) étrange (« forétrange »), Cor(ps) à corps (« korakor »).
b) Au pluriel, ces mêmes mots font la liaison sur « s » : Arts et métiers (« arzémétier »).
4. Exemples de liaison obligatoire.
a) Entre l'article et le nom ou l'adjectif : Les acteurs, Des images, Un étrange individu.
b) Entre l'adjectif possessif et le nom ou l'adjectif : Tes enfants, Son autre époux.
c) Entre l'adjectif démonstratif et le nom ou l'adjectif : Ces étonnants insectes.
On notera l'emploi de cet devant un masculin commençant par un son vocalique : Cet écrivain.
d) Entre l'adjectif qualificatif et le nom : Un grand acteur, Un petit écureuil, De beaux animaux, De longues heures (« h » dit « muet »).
e) Entre l'adjectif numéral cardinal et le nom ou l'adjectif : Quatre-vingts acheteurs, Deux cent vingt orangers, Trois cents avions.
f) Entre le pronom personnel au pluriel et le verbe : Nous allons, Vous irez, Ils ont.
g) Entre le verbe auxiliaire et le participe passé : Elle est arrivée, Elles ont écouté, Ils avaient aimé.
h) Entre un verbe quelconque et tout autre mot : Ils vont à Pau, Elle peut apprendre, Nous avions une villa, Allez-y !
i) Entre la préposition et l'article défini, le nom, l'adjectif ou le verbe : Dans une semaine, En une minute, En approchant.
j) Entre la conjonction de subordination et le mot qui la suit : Quand on peut.
k) Entre l'adverbe et l'adjectif ou le verbe : très amusant, Trop étourdi, Beaucoup étudier.
l) Entre le nom au pluriel et l'adjectif qui le suit : Des joueurs habiles, Des mains innocentes.
5. Exemples de liaison interdite ou déconseillée.
a) Entre deux groupes de mots dont l'un est complément de l'autre, surtout quand celui-ci est en tête (inversion) : Dans le ciel gris / évoluait un avion.
b) Entre un nom au singulier et l'adjectif qui le suit : Un étudiant / appliqué, Un cachet / énorme.
c) Après la conjonction et : Vingt et / un ans, Vif et / adroit.
d) Devant certains mots comme oui, onze, onzième : Les / onze joueurs.
e) Devant un « h » d'hiatus dit « aspiré ».
f) Entre un infinitif en -er et la voyelle qui le suit : Aller / à l'école, Rester / assis.
g) Quand il peut y avoir confusion par analogie : Des États / unis par des intérêts communs, par opposition aux États-Unis d'Amérique.
h) Lorsque plusieurs liaisons de même sonorité sont trop rapprochées, on en supprime une par euphonie : Les uns / et les autres, Allez / aux eaux !
i) Autres cas : Prête-m'en / une ! Vont-ils / arriver ?
j) Après le quantième du mois.
Pas de liaison prononcée « z » après un quantième du mois terminé par « -s » ou « -x » ainsi que « t » après vingt, car le nombre ne multiplie pas le nom qu'il précède. Dans ces cas, on prononce comme s'ils étaient isolés les nombres deux (deu), trois (troi), six (siss), dix (diss) et vingt (vin). D'où :
En faisant la liaison : Deux (z) ouvriers, Trois (z) avocats, Six (z) opéras, Dix (z) aviateurs, Vingt (t) outils.
Sans faire la liaison : Le deux / août, Le trois / avril, Le six (siss) octobre, Le dix (diss) avril, Le vingt / août.