Théâtre et poésie
(note publiée le 9 janvier 2023)
Passant récemment devant quelque magasin où l'on peut trouver un peu de tout (ou presque), je suis entré... Je suis sorti cinq minutes après avec un gros bouquin des années 80, publié en Suisse, titré : « Jean Racine – Théâtre complet – Illustré de 73 gravures sur bois – Texte intégral ».Je ne suis pas un fana de théâtre, en tout cas pas sur papier, à l'exception notoire de Cyrano de Bergerac que je relis parfois par passages ou dans son entièreté. Or, pourquoi diantre avoir acheté (pour 5 euros au demeurant) les pièces de théâtre de Racine ? J'ai un début de réponse : parce qu'elles sont écrites en vers, matière noble au XVIIe siècle – et fort bien écrites (pour le peu que j'ai pu lire dans la boutique).
Le sieur Racine, né en 1639 (juste un an après le futur Louis XIV) est certes connu pour son théâtre. On sait moins qu'il fut aussi un fameux poète. Comment pourrait-il en être autrement d'ailleurs quand on voit la qualité de ses vers destinés à la scène ? Et moi, poète du XXe siècle mais obstiné à versifier à la mode classique (avec quelques arrangements que j'ai expliqués sur ce site), ne pouvais qu'être séduit par les vers de Racine, c'est une évidence.
Je n'achète pas un livre pour décorer ma bibliothèque. J'ai donc entrepris de lire, avec un peu d'appréhension tout de même, les pièces du maître. Mes craintes portaient sur les thèmes choisis. Racine s'est essentiellement inspiré des poètes de l'Antiquité pour concevoir son théâtre. Ces thèmes peuvent-ils toucher un lecteur de ce siècle, fut-il sensible à la forme ? N'allaient-ils pas générer un pesant ennui après un acte et trois scènes ? Pour vous, je l'ignore mais pour moi, la réponse à ces deux questions est : oui et non (respectivement). On retrouve chez Racine les mythes et les personnages des mondes grec et romain (Œdipe, Andromède, la guerre de Troie, etc.) avec bien sûr, omniprésents, l'amour (souvent sinon toujours contrarié) et l'honneur. Les caractères sont fort typés mais je n'y ai rien trouvé d'outrancier. Puis c'est du théâtre, ce ne sont pas des biographies ! Mais par-dessus tout et comme je l'évoquais ci-avant, quelle écriture ! Des pages d'alexandrins flamboyants, du rythme et de la mélodie sans notes... Voilà qui me rappelle les modestes ambitions d'un poète que je connais bien : faire chanter les mots à travers la versification.
Mais le théâtre de Racine, est-ce bien de la poésie ? Quelle importance ? C'est superbe et ça suffit – c'est également largement ignoré en ces tristes années 2000. Si l'occasion m'est offerte d'assister à une représentation d'une pièce de Racine, j'y courrai. Tiens, il faudra que je me renseigne, peut-être qu'à Lyon...
J'avais découvert voilà bien des années les « Essais » de Montaigne. Pas de poésie ici, exception faite des « Vingt et neuf sonnets de La Boétie » (lire : La Boi-ti et non La Boé-ci, n'en déplaise à tonton Georges et à ses copains d'abord) que l'auteur a insérés. Mais lire Montaigne exige qu'on soit prêt à s'y plonger tout entier. Le jeu en vaut la chandelle (tiens, une expression de l'époque de Montaigne !) mais l'effort doit être consenti quoi qu'il en soit. Rien de tel avec le théâtre de Racine, tout se passe aisément – pour moi en tout cas. Ah, précision : je ne cherche pas à comparer ici ce qui n'est pas comparable. Si j'ai rapproché les réflexions de Montaigne et les vers de Racine, c'est parce qu'ils ont en commun le délaissement que les lectrices et les lecteurs de cette époque lui accordent volontiers. Est-ce par inintérêt ou par ignorance ? Je n'en sais rien. Mais c'est bien dommage !
Note du 16 janvier 2021 : j'ai terminé la lecture du théâtre complet de Racine et je veux juste faire part ici de ma réserve pour les deux dernières tragédies de l'illustre auteur (« Esther » et « Athalie »). Deux raisons à cela : d'une, ce sont des pièces inspirées de la Bible et elles sont à mon goût un peu trop empreintes de bondieuserie – le maître me pardonne cette réflexion qu'il jugerait impie ; de deux, ces pièces comportent des parties chantées et ces passages, probablement adaptés à la mélodie, sont écrits dans des mètres variés, cassant ainsi la belle ordonnance de l'alexandrin. Pour autant, le théâtre de Racine reste dans son ensemble un modèle d'excellence et je persiste à le recommander au lecteur aimant les beaux vers.