Géographie
Sous le pont Mirabeau coule l'Y-onne [...]
Jacques Roubaud, Pont Mirabeau, La forme d'une ville change, hélas, plus vite que le cœur des humains
« À Bordeaux coule la Garonne.
À Lyon, qui coule ? Le Rhône.
Si à Lyon coulait l'Yonne...
Un lion pour une lionne,
Ce serait là union saine !
Mais l'Yonne marie la Seine.
Le sais-tu, ma Parisienne :
Sur les quais, quand tu te promènes
(Je comprends, va, si ça t'étonne)
Cette eau que tu vois, c'est... l'Yonne.
Tu penses que je déraisonne ?
Écoute plutôt, ma mignonne :
Quand deux fleuves se réunissent,
Quand leurs eaux deviennent complices,
Qui retire le bénéfice ?
Qui garde son nom ? Qui le perd ?
Les hydrologues, fins experts,
Sont unanimes : "Il appert
Qu'au sortir de la confluence,
Le fleuve au débit le plus dense
S'impose à l'autre. Pas de chance
Pour le fleuve en mode mineur
(Mais ce n'est point un déshonneur :
Pour être fleuve aussi l'on meurt)."
Or à cet endroit où la Seine
S'avance, puissante, sereine,
– Est-ce son air de souveraine ?
Est-ce le R qui la fait R(S)eine ? –,
Nos experts, que Dieu leur pardonne,
Font erreur : il y a maldonne
Car leurs mesures sont félonnes :
La Seine a moins d'eau que l'Yonne !
Et voilà, ma Parisienne...
Cette eau, à chacune la sienne,
Est à l'Yonne et c'est grand-peine
D'ouïr : "À Paris court la Seine",
C'est grand-peine et grand désarroi.
— Mais si le Rhône en grand arroi,
Le monarque, le fleuve-roi,
Répudiait sa mie, la Saône
Et s'unissait avec l'Yonne ?
— La belle porterait couronne.
— Et la Saône ? — Changeant de cours,
Elle s'enfuirait à la cour
De la Seine : "Seine, au secours !"
Brisons là, ma Parisienne
Car je te sens, ma riveraine,
Le cœur troublé, l'âme incertaine.
Soit. Oublie tout. Comme a dit, débonnaire,
Un jour qu'il méditait, l'Apollinaire,
Passent siècles, années, mois et semaines,
"Sous le pont Mirabeau coule la Seine..." »
(Pourtant c'est égal : Seine fanfaronne,
Honte à toi, honte et hourra pour l'Yonne !)
À Lyon, qui coule ? Le Rhône.
Si à Lyon coulait l'Yonne...
Un lion pour une lionne,
Ce serait là union saine !
Mais l'Yonne marie la Seine.
Le sais-tu, ma Parisienne :
Sur les quais, quand tu te promènes
(Je comprends, va, si ça t'étonne)
Cette eau que tu vois, c'est... l'Yonne.
Tu penses que je déraisonne ?
Écoute plutôt, ma mignonne :
Quand deux fleuves se réunissent,
Quand leurs eaux deviennent complices,
Qui retire le bénéfice ?
Qui garde son nom ? Qui le perd ?
Les hydrologues, fins experts,
Sont unanimes : "Il appert
Qu'au sortir de la confluence,
Le fleuve au débit le plus dense
S'impose à l'autre. Pas de chance
Pour le fleuve en mode mineur
(Mais ce n'est point un déshonneur :
Pour être fleuve aussi l'on meurt)."
Or à cet endroit où la Seine
S'avance, puissante, sereine,
– Est-ce son air de souveraine ?
Est-ce le R qui la fait R(S)eine ? –,
Nos experts, que Dieu leur pardonne,
Font erreur : il y a maldonne
Car leurs mesures sont félonnes :
La Seine a moins d'eau que l'Yonne !
Et voilà, ma Parisienne...
Cette eau, à chacune la sienne,
Est à l'Yonne et c'est grand-peine
D'ouïr : "À Paris court la Seine",
C'est grand-peine et grand désarroi.
— Mais si le Rhône en grand arroi,
Le monarque, le fleuve-roi,
Répudiait sa mie, la Saône
Et s'unissait avec l'Yonne ?
— La belle porterait couronne.
— Et la Saône ? — Changeant de cours,
Elle s'enfuirait à la cour
De la Seine : "Seine, au secours !"
Brisons là, ma Parisienne
Car je te sens, ma riveraine,
Le cœur troublé, l'âme incertaine.
Soit. Oublie tout. Comme a dit, débonnaire,
Un jour qu'il méditait, l'Apollinaire,
Passent siècles, années, mois et semaines,
"Sous le pont Mirabeau coule la Seine..." »
(Pourtant c'est égal : Seine fanfaronne,
Honte à toi, honte et hourra pour l'Yonne !)
Annonay, jeudi 5 mars 2015