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POÉSIES DE MON CŒUR (a) POÉSIES DE MON CŒUR (i)
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Sur le E en finale du mot,
précédé d'une voyelle
et suivi d'une consonne

À Gotlib et à l'élève Chaprot.

Dans l'hémistiche suivant, d'Alfred de Musset : « Qu'on vous voie. — Merci », il faut lire : voi-eu, le E ne pouvant s'élider sur une consonne, ici le M de Merci.
I

J'écrivais un charmant poème
Qui parlait de l'amour quand il se fait pressant :
« Ma tendre amie Aline, aime-moi, moi qui t'aime
D'un sentiment qui va croissant. »

C'est la distraction extrême
Qui m'inspire ces mots ? Aline est bien loin, sans
Le plus petit regret car c'est Sandra que j'aime.
Bon, bon, bon... « Ma tendre amie San... »

II

C'est alors qu'il a surgi
Du fond de mon encrier
En disant – non, il criait :
« On se croit donc tout permis ? »

Il avait un air énorme
Avec son très haut-de-forme,
Et sa redingote noire
Râpée, aux reflets de moire.

« Mais... qui êtes-vous ? D'où sortez-vous comme ça ?
— ...
— Parlez, nom de Dieu !
— Eh, t'ai-je donc tant surpris
Que tu ne fais plus de vers ?
Remarque, il ne vaut pas cher,
Ton poème, malappris !

— Écoutez, petit cloporte,
Vous n'aimez pas ? Que m'importe !
Cessez vite cette farce
Et ce n'est vraiment pas parce...

— Silence ! Tu te crois fort ?
Apprends plutôt tes leçons...
Est-il bête, ce garçon !
(Et sans faire aucun effort).

— Mais de quelles leçons s'agit-il, mon bon maître ?
(Le ton est ironique – il ne l'a pas saisi).
Mes pauvres vers – passons – n'ont pas l'heur de paraître
Dignes de la critique et de la poésie ?

Je parle de l'amour ! C'est un sujet, me semble–
T-il que tous les auteurs ont évoqué, pardi !
Amour, amour toujours... L'amour toujours rassemble
Les âmes et les cœurs... Enfin, ce que j'en dis...

— Mais l'amour je m'en fous ! C'est le E en finale
D'amie (ah, que résonne ici mal Sandra ; fi !)
Qui gêne, pauvre fou ! La règle générale
Refuse la consonne après... Oh, ça suffit !

— Quel E ? Quelle consonne ? Allons, je vous écoute.
Développez, mon cher, vous en mourez d'envie.
Je suis comme personne attentif, point n'en doute.
Faites-le-moi en vers et j'en serai ravi.

— Soit. Plaisantin qui te piques
D'écrire comme un classique,
Respecte donc les canons
De Calliope, crénom !

C'est ce E avec consonne
Qui doit sonner – et qu'il sonne ! –
Comme syllabe qu'on lit
Et que toujours tu oublies

Au prétexte, j'en chancelle,
Qu'il est fils d'une voyelle.
Ma tendre ami-eu Sandra
(Calliope m'absoudra

De dire une horreur pareille !)
Est insulte pour l'oreille.
Or on DOIT le dire ainsi.
Surtout ne dis pas merci...

Et quoi ? Te rends-tu pas compte ?
Ami-eu Sandra... La honte !
Ami-eu Sandra... Grands dieux,
Qu'un vers peut être odieux !

Mais Ma tendre amie Aline
Est un vers fort bien senti,
Aussi qui a bonne mine.
— Bon ! Mais Aline est partie

(Adieu, ma Parisienne !)
— Non ? Vrai ? Qui l'a remplacée ?
— Pour autant qu'il m'en souvienne,
C'est ma tendre amie... — Assez !

Sandra, je me le rappelle :
Sandra ; pas après amie !
S consonne, E voyelle,
On se croit donc tout permis ?

— Mais que faire de ma belle ?
— Prends-en une au nom charmant,
Charmant mais avec voyelle !
— Pour Sandra... Je fais comment ?

— Ôte-lui le S, bonhomme !
— Oui... Ma tendre amie Andra,
En draps pour croquer la pomme,
Promis, il m'en souviendra ! »

III

Il est reparti, l'ancêtre,
Au fond de mon encrier.
En grommelant : « Dur métier...
Lui aurai-je appris ? Peut-être... »

Il s'en est retourné, le chapeau de travers,
En pleurant sur « l'art véritable
Qui se perd, de faire des vers »,
Pathétique gardien des règles immuables.

Vous l'avouerai-je ici ? Il m'était sympathique,
Ce vieillard surfait – ô combien !
Mais moi je suis néo-classique,
Néo – front haut de même – et cela me va bien.

Ma tendre amie Sandra – maintenant qu'il a fui,
Reviens, Sandra, reviens, peuchère ! –,
Tu sais, pour la prochaine nuit,
Ô ma douce hôtesse, on ôt' S : en draps, ma chère !

IV

Cette histoire, messieurs-dames,
S'est jouée voilà longtemps
Sandra est partie (sans drame,
Emportant mes draps pourtant).

D'autres mies gentes et bonnes
Entre mes draps sont passées,
Aux voyelles – E – consonnes
Je n'ai jamais renoncé.

« Mes chéri-eu(s) je vous aime ! »
Dirait l'autre désuet.
Mes chéries dans mes poèmes
Votre E reste muet.

Le poète qui déclame
Suit la langue de son temps.
La mienne est vôtre, mesdames –
Honorablement s'entend.

Puis je vais changer mon poème
Qui parle de l'amour quand il se fait pressant :
« Ma tendre amie – voir note (*), aime-moi car je t'aime
D'un sentiment qui va croissant. »

(*) Note : ma lectrice, ici même
Je peux graver ton nom si ton cœur y consent.
J'ai des économies, un loft dans le seizième :
En bref, un coup intéressant.

V. Chute (puisqu'il en faut une)

« Chéri ! Lève-toi ! Suis dans la cuisine,
Ton café t'attend, avec tes tartines !
— (Ton ensommeillé) Mmm... Merci, Aline...

— (Ton étonné) Qui ? — Euh... Merci, Sandra ! »
(Mon étourderie bientôt me perdra –
Lecteur amoureux, tu me comprendras).

« Aline ? Sandra ? Moi, je m'appelle Ève ! »
Elle a fui sur l'heure : un amour s'achève.
Là je dis : bravo ! Scélérat de rêve...
Annonay, jeudi 14 mai 2015
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