Une lettre pour M...
Bonjour, vieux camarade... Et comment vas-tu bien ?
Cela fait, mon dieu, combien... oui, combien
D'années que j'aurais pu t'écrire cette lettre ?
Ô nonchaloir de l'être... !
Excuse ma paresse.
On a le pas tranquille, on croit que rien ne presse
Et pourtant le temps, quel sacré fripon !
On salue le printemps, c'est l'hiver qui répond...
T'en souvient-il parfois ? Nous étions des gamins
– Cet air sérieux ! – qui voulions demain
Devenir « Policier... Non, attends : garagiste !
— Et moi... heu... journaliste ! »
Ambitions de mômes...
Qu'en reste-t-il quand on est devenu des hommes ?
(Il en reste que, lorsqu'il se fait tard,
On regrette souvent ses rêves de moutard).
Quoi de beau au village ? Est-ce que les enfants
Font comme autrefois tout ce qu'on défend ?
Dis, te rappelles-tu la vitre au père Alphonse ?
« Et m... ! Fonce, fonce ! »
À l'âge où l'on est gosse,
Plus terrible est la peur, plus la bêtise est grosse
Et plus on est fier d'avoir réussi.
« Faut rien dire à personne, hein ? » Ça, pas de souci,
Personne n'a rien dit... Le père Alphonse a fait
Changer le carreau naguère défait
Et les deux chenapans qui commirent ce crime
Sont restés anonymes !
J'ai su pour notre maître...
Je n'oublierai jamais ce qu'il faisait promettre :
D'être « droit, honnête, affable et poli » ;
La règle était ardue ; la formule jolie.
Je revois – c'était hier – la classe et son plafond
Aux poutres vernies, le gros poêle au fond,
Le bureau du maître en hauteur sur son estrade
Et nous, vieux camarade,
Déclamant un poème :
« Notre âme, c'est cet Homme amoureux de lui-même »,
« Le bûcheron passe avec son fardeau »,
Gloire au sieur La Fontaine et à Victor Hugo !
J'ai appris pour Jeannot... C'était un bon copain.
Jean et ses bonbons « au miel de sapin » ...
(Pourquoi me revient-il ce trait de gourmandise ?)
Puis nous, quoi qu'on en dise,
On suivra la consigne
Que Jeannot a suivie ; dès que la mort fait signe,
Nul ne peut, hélas, lui faire faux bond !
Y a-t-il tout là-haut des marchands de bonbons ?
D'autres s'en sont allés, je suppose... Vois-tu,
La vie nous ballotte, pauvres fétus.
« Loin des yeux, loin du cœur » dit un fameux proverbe.
Combien d'amis sous l'herbe ?
Allons, la vie est faite
Pour les vivants, dit-on et s'il faut que l'on fête
Les moments heureux, j'aimerais fêter
Celui où nous pourrons trinquer à nos santés !
Alors si le bistrot des Quatre Vieilles Croix
Est toujours ouvert (c'est Marie, je crois
Qui a pris le relais de sa mère Augustine),
Réserve deux chopines !
Oups... Quand je tiens la plume,
J'écrirais à remplir, oh, deux ou trois volumes !
C'est un peu ma faute, aussi... J'aurais dû
Me décider avant et quoi ? J'ai attendu.
Au revoir, vieux complice... À bientôt, qu'en dis-tu ?
Pareil, j'espère et si je me suis tu
Longtemps, pardonne-moi...
Donne de tes nouvelles.
Ton dévoué,
R. L...
Cela fait, mon dieu, combien... oui, combien
D'années que j'aurais pu t'écrire cette lettre ?
Ô nonchaloir de l'être... !
Excuse ma paresse.
On a le pas tranquille, on croit que rien ne presse
Et pourtant le temps, quel sacré fripon !
On salue le printemps, c'est l'hiver qui répond...
T'en souvient-il parfois ? Nous étions des gamins
– Cet air sérieux ! – qui voulions demain
Devenir « Policier... Non, attends : garagiste !
— Et moi... heu... journaliste ! »
Ambitions de mômes...
Qu'en reste-t-il quand on est devenu des hommes ?
(Il en reste que, lorsqu'il se fait tard,
On regrette souvent ses rêves de moutard).
Quoi de beau au village ? Est-ce que les enfants
Font comme autrefois tout ce qu'on défend ?
Dis, te rappelles-tu la vitre au père Alphonse ?
« Et m... ! Fonce, fonce ! »
À l'âge où l'on est gosse,
Plus terrible est la peur, plus la bêtise est grosse
Et plus on est fier d'avoir réussi.
« Faut rien dire à personne, hein ? » Ça, pas de souci,
Personne n'a rien dit... Le père Alphonse a fait
Changer le carreau naguère défait
Et les deux chenapans qui commirent ce crime
Sont restés anonymes !
J'ai su pour notre maître...
Je n'oublierai jamais ce qu'il faisait promettre :
D'être « droit, honnête, affable et poli » ;
La règle était ardue ; la formule jolie.
Je revois – c'était hier – la classe et son plafond
Aux poutres vernies, le gros poêle au fond,
Le bureau du maître en hauteur sur son estrade
Et nous, vieux camarade,
Déclamant un poème :
« Notre âme, c'est cet Homme amoureux de lui-même »,
« Le bûcheron passe avec son fardeau »,
Gloire au sieur La Fontaine et à Victor Hugo !
J'ai appris pour Jeannot... C'était un bon copain.
Jean et ses bonbons « au miel de sapin » ...
(Pourquoi me revient-il ce trait de gourmandise ?)
Puis nous, quoi qu'on en dise,
On suivra la consigne
Que Jeannot a suivie ; dès que la mort fait signe,
Nul ne peut, hélas, lui faire faux bond !
Y a-t-il tout là-haut des marchands de bonbons ?
D'autres s'en sont allés, je suppose... Vois-tu,
La vie nous ballotte, pauvres fétus.
« Loin des yeux, loin du cœur » dit un fameux proverbe.
Combien d'amis sous l'herbe ?
Allons, la vie est faite
Pour les vivants, dit-on et s'il faut que l'on fête
Les moments heureux, j'aimerais fêter
Celui où nous pourrons trinquer à nos santés !
Alors si le bistrot des Quatre Vieilles Croix
Est toujours ouvert (c'est Marie, je crois
Qui a pris le relais de sa mère Augustine),
Réserve deux chopines !
Oups... Quand je tiens la plume,
J'écrirais à remplir, oh, deux ou trois volumes !
C'est un peu ma faute, aussi... J'aurais dû
Me décider avant et quoi ? J'ai attendu.
Au revoir, vieux complice... À bientôt, qu'en dis-tu ?
Pareil, j'espère et si je me suis tu
Longtemps, pardonne-moi...
Donne de tes nouvelles.
Ton dévoué,
R. L...
Annonay, dimanche 30 septembre 2018